16

 

C’était une ville toute proche. La voiture qui roulait sous la pluie était celle qui avait transporté Esther sur les lieux du crime. D’autres voitures l’accompagnaient, remplies de gardes qui scrutaient du regard de sinistres immeubles à l’abandon.

Leur procession était furtive, et pourtant pleine d’autorité.

À travers la pluie, je distinguais dans le lointain les tours illuminées de la rue où elle avait succombé. Dans cette capitale du monde occidental, New York, fastueuse comme Alexandrie ou Constantinople. Ses grandes tours me rappelaient les armes des Eval. Dures, aiguisées.

Le passager était fier de la voiture, fier des gardes qui l’accompagnaient, fier de son manteau de fin lainage et de la coupe de ses cheveux bouclés et drus.

Je me rapprochai pour l’observer à travers la vitre teintée : Gregory Belkin, beau-père d’Esther, fondateur du Temple de l’Esprit de Dieu.

La voiture ? Une Mercedes-Benz du type le plus rare, conçue à partir d’une petite berline rallongée de trois segments, deux fois plus longue que celles qui l’entouraient, noire, brillante et somptueuse, comme si elle avait été sculptée dans l’obsidienne et polie à la main. Elle parcourut plusieurs rues avant de s’arrêter, le chauffeur obéissant promptement au geste de Belkin.

Ce fier grand prêtre, prophète, je ne sais quelle autre épithète il s’attribuait, sortit sans assistance à la lumière d’un réverbère comme pour illuminer son visage jeune et rasé de frais, ses cheveux coupés court sur la nuque comme ceux d’un soldat romain.

Il parcourut à pied toute la longueur de la rue, seul, longeant de sordides magasins murés jusqu’à sa destination ; les gouttes de pluie scintillaient comme des joyaux sur les épaules de son long manteau, tandis que ses gardes scrutaient la nuit autour de lui.

Était-il le maître ? Dans ce cas, comment expliquer que je ne le sache pas ? Je ne l’aimais pas. Dans mon demi-sommeil, je l’avais vu pleurer Esther et parler de complots, et je l’avais trouvé antipathique.

Pourquoi étais-je si près de lui, au point de pouvoir toucher son visage ? Beau, il l’était sans discussion, et encore fort jeune, les épaules larges, grand comme un Scandinave, mais plus brun, et l’œil noir de jais.

Es-tu le maître ?

Maître esprit des disciples du Temple, voilà comment le surnommaient les journalistes insolents et cyniques. À présent, il repassait dans sa tête les récents discours qu’il avait prononcés devant les portes en bronze de son temple de Manhattan. « Ma pire crainte, c’est qu’ils ne soient pas de simples voleurs, et que le collier ne signifie rien pour eux. C’est notre Église qu’ils veulent atteindre. Ils sont le Mal. »

Collier ? m’étonnai-je. Je n’avais pas vu de collier.

Les gardes qui suivaient des yeux Gregory depuis leurs voitures étaient ses « disciples ». Quelle Église de paix et de bien ! Ils étaient armés de pistolets et de couteaux, et lui-même, le prophète, portait un revolver, brillant comme sa voiture, tout au fond de la poche gauche de son manteau.

Il était comme un roi habitué à accomplir chaque geste devant un vaste public, mais il ne me voyait pas l’observer. Il n’avait aucune perception du fantôme qui se tenait légèrement en retrait, tel un dieu personnel.

Cependant, je n’étais pas le dieu de cet homme, ni son serviteur. J’étais son observateur, et il me fallait apprendre pourquoi.

Il s’arrêta devant une façade en brique, pleine de fenêtres murées. Le toit était fortement incliné, en prévision d’enneigements. Elle ressemblait aux autres maisons de cette partie de la ville. Les proportions de cette époque et de ce lieu me paraissaient incommensurables.

J’étais fasciné. Ses magnifiques chaussures de cuir noir étaient joliment mouchetées de pluie. Pourquoi nous amenait-il ici ?

Il descendit une ou deux marches et s’enfonça dans une allée. Une lumière brillait au-devant de lui. Il ouvrit une petite grille, puis une porte.

Nous entrâmes, lui et moi. Je sentis la chaleur vibrer autour de moi.

Un plafond. La nuit refoulée au-dehors. Un vieillard assis devant une table en bois.

Une odeur d’humains, douce et plaisante. Et d’autres senteurs précieuses, bien trop nombreuses pour les savourer ou les nommer.

Tous les esprits et les dieux se nourrissent d’arômes. J’en avais été tellement privé, affamé, que les senteurs de ce lieu m’enivraient.

Je savais. J’étais là.

Je prenais lentement forme. Mais sous quelle direction, quelle décision ? Cela m’enchantait.

Aucune incantation ne sortait de ma bouche ; pourtant, je devenais solide. Cela se faisait, tout simplement, comme à New York, lorsque je pourchassais les tueurs. Je le sentais. Je me sentais enveloppé de ce corps agréable, mais sans savoir ce que cela signifiait.

Maintenant je sais : je devenais visible et solide dans mon propre corps, celui que vous voyez ici, maintenant, sous la forme que j’avais de mon vivant.

Là-bas, personne d’autre ne savait. Tapi derrière la bibliothèque, j’observais.

Gregory Belkin se tenait au milieu de la pièce, sous une ampoule suspendue à un vieux cordon élimé. Le vieillard assis à la table ne pouvait pas me voir. Il avait la tête courbée et portait la petite calotte en soie noire des juifs orthodoxes. Sur son bureau, une lampe couverte d’un abat-jour vert diffusait une douce lumière dorée.

Il avait la barbe et les cheveux d’un blanc de neige, et deux longues papillotes bouclées lui encadraient soigneusement le visage. La peau rose de son crâne apparaissait sous ses cheveux clairsemés, mais sa barbe était longue et fournie.

Les livres qui tapissaient les murs étaient en hébreu, en arabe, en araméen, en latin, en grec et en allemand. Je sentais l’odeur du cuir et du parchemin. Je m’imprégnai de ces senteurs et il me sembla un moment que ma mémoire allait revenir à la vie, ou que de ma mémoire allait renaître tout ce que j’avais tenté de supprimer.

Mais ce vieillard n’était pas mon maître non plus. Je le sus aussitôt.

Ce vieillard ne percevait pas ma présence. Il se contentait de dévisager l’homme qui venait d’entrer. Celui-ci se tenait droit et solennel devant son aîné. Il ôta ses gants de peau grise très souple et les rangea soigneusement dans la poche droite de son pardessus ; il lissa la poche gauche, où se trouvait le petit pistolet mortel. J’avais envie d’entendre la détonation. Mais il n’était pas venu pour s’en servir.

La pièce était encombrée. D’innombrables rayonnages me séparaient du vieillard, et je ne pouvais voir par-dessus les volumes. Une odeur d’encens m’inonda de plaisir. Je sentais aussi le fer, l’or, l’encre. Les ossements pouvaient-ils être ici ?

Le vieillard ôta ses lunettes, cerclées de métal argenté, flexibles et fragiles, et il scruta son visiteur sans bouger.

Le vieil homme avait des yeux très pâles, dont la beauté me frappa – des yeux évoquant l’eau plutôt que la pierre. Mais ils étaient petits, affaiblis par l’âge, et ils brillaient moins qu’ils n’accusaient, du fond des rides de son visage.

Plus fort. Tu deviens plus fort d’une minute à l’autre. Tu es presque complètement visible.

Je ne distinguais pas entièrement le visage du visiteur. Je me glissais le plus loin possible pour me dissimuler, et je me sentis devenir entier, à peu près de sa taille.

Son manteau noir était mouillé par la pluie ; il portait un foulard blanc aussi fin que celui qu’elle avait tenu en mourant. J’essayai de me rappeler ce foulard qu’elle avait saisi au moment de mourir sans imaginer la signification de cet ultime geste. Il était noir, brillant, couvert de perles. Je le revois encore.

Le vieil homme parla en yiddish.

— Tu as tué ta fille.

J’étais sidéré qu’il aille ainsi droit à l’essentiel.

L’amour qu’elle m’inspirait me tourmentait, comme si elle était venue m’enfoncer ses ongles dans la chair en suppliant : « Ne m’oublie pas, Azriel. » Mais jamais elle n’aurait fait une chose pareille. Elle était morte avec humilité ; lorsqu’elle avait prononcé mon nom, c’était avec émerveillement.

C’était épouvantable de la revoir, mourante.

Va, vole, esprit. Tourne-leur le dos à tous – à sa mort, à l’accusation du vieillard, à cette pièce fascinante emplie de couleurs et d’arômes attrayants. Laisse-les, esprit. Laisse-les se démener. Après tout, les âmes ont-elles vraiment besoin du Serviteur des Ossements pour les conduire jusqu’au shéol ?

Mais je n’allais certes pas disparaître. Je voulais comprendre les paroles du vieillard.

Le visiteur se contenta de rire.

Aucun manque de respect. C’était le rire embarrassé et fâché d’un homme qui ne voulait pas réagir à ces paroles. Le geste évasif de sa main n’exprimait nulle surprise. Il secoua la tête.

J’aurais voulu le contourner, le dévisager, mais c’était trop tard. Je savais que j’étais entier, les mains sur les livres de l’étagère. Je me déplaçai légèrement vers la gauche, afin que les rayonnages de livres me dissimulent, par crainte d’être vu du vieillard ; mais il ne donnait aucun signe d’avoir perçu ma présence.

L’homme jeune soupira.

— Rebbe, pourquoi aurais-je tué la fille de Rachel ? demanda-t-il en yiddish. Pourquoi aurais-je tué mon unique enfant ? Cette langue ne lui venait pas facilement. Esther, ma ravissante Esther, dit-il d’une voix sincère.

Il n’aimait pas parler yiddish. Il désirait revenir à sa langue, l’anglais.

— Tu l’as fait, rétorqua haineusement le vieillard de ses lèvres desséchées. Il poursuivit en hébreu : Tu es un idolâtre, un assassin ; tu as tué ton enfant. Tu l’as fait assassiner. Tu marches avec le mal. Tu pues le mal !

J’étais ébranlé. Je ressentais physiquement la fureur du vieillard.

Là encore, le jeune homme joua la patience, remuant légèrement les pieds et secouant la tête comme pour ménager un prophète à demi nu venu tempêter sur le seuil de sa maison.

— Mon mentor, murmura Gregory Belkin en anglais. Mon modèle. Mon grand-père. Et tu me reproches sa mort ?

Ces mots n’apaisèrent pas la fureur du vieil homme ; au contraire. Il répondit en anglais aussi :

— Que veux-tu de moi, Gregory ? Tu n’es jamais venu sans raison dans cette maison.

Sa colère était froide. Ce vieil homme n’allait rien faire à propos de la mort de la jeune fille. Il était assis à son bureau, les mains jointes sur un livre ouvert. De minuscules caractères hébraïques.

Je ressentis à nouveau la perte d’Esther, comme si j’avais reçu un coup, et je fus tenté d’annoncer à voix haute : « Vieil homme, je l’ai vengée, j’ai massacré les trois assassins avec le pic de leur chef. Je les ai tous tués. Ils sont morts sur le trottoir. »

Je la sentais comme si j’étais le seul, dans cette pièce, à tenir la bougie allumée en souvenir d’elle. Aucun des deux ne la regrettait, maudites soient les accusations.

Pourquoi laisses-tu cela se produire, Azriel ? On pleure aisément ceux qu’on ne connaît guère. Peut-être est-ce même excitant. Mais être seul ? C’est être vivant. Et tu es certainement seul et secret ici.

— Tu me brises le cœur, rebbe, dit Gregory en anglais.

Avec ce doux murmure de désespoir, son corps parut s’affaisser. Ses mains étaient enfouies dans ses poches et il avait un peu la chair de poule à cause du froid. Je songeai qu’il mentait et disait en même temps la vérité.

Je me nourrissais de leurs odeurs, je sentais les hommes – la chair vivante et chaude du vieillard, si fine, si claire, bien protégée de la maladie, devenue soyeuse avec l’âge, pure comme ses os, certainement si friables qu’ils pouvaient se briser au moindre coup.

Le jeune homme était immaculé, oint de parfums subtils et délicats qui émanaient des pores de sa peau, des boucles de ses cheveux, de ses vêtements. Un mélange de senteurs subtilement dosé. L’odeur d’un monarque moderne.

Je me rapprochai de lui, à moins d’un mètre sur sa gauche. Je le voyais de profil. D’épais sourcils soignés et bien dessinés, des traits fins et bien proportionnés ; nous l’aurions qualifié de béni. Il n’avait ni cicatrice ni défaut. Quelque chose d’indéfinissable pour moi l’enrichissait, renforçait sa puissance. Son sourire triste laissait apparaître des dents d’une blancheur parfaite.

Il avait de grands yeux, comme Esther, mais pas aussi beaux. Il leva les mains – autre forme de supplication, humble, silencieuse. Ses doigts étaient délicats et ses joues lisses ; il avait été nourri tendrement, comme si le monde entier, toute sa vie, avait été le sein de sa mère. Que lui manquait-il ? Je ne pouvais trouver en lui aucune fracture ni plaie, aucune rupture, seulement un embellissement indéfinissable.

Puis je compris ce que c’était. Il possédait la beauté d’un jeune homme, mais il avait plus de cinquante ans ! C’était stupéfiant ; l’âge affinait ses qualités physiques, et renforçait l’éclat de ses yeux.

— Parle, Gregory Belkin, déclara le vieil homme d’une voix méprisante. Dis-moi pourquoi tu es venu, ou sors immédiatement.

La colère du vieillard me surprit.

— D’accord, rebbe, répondit le plus jeune, comme s’il était accoutumé à ce ton.

Le vieil homme attendait.

— J’ai un chèque dans ma poche, rebbe, reprit Gregory. Je te le donne pour le bien de toute la Congrégation.

Par ce terme, il désignait les Hébreux dont le vieillard était le rabbin, le zaddik, le chef.

Des bribes de souvenirs me revinrent, comme des morceaux de verre brisé – de brèves visions de mon maître Samuel, mort depuis longtemps. Mais elles ne signifiaient rien, et je m’en détournai. À ce stade, souvenez-vous, je ne me rappelais rien de mon passé. Rien. Cependant, je savais que cet homme était vénérable, puissant dans son Église ; peut-être un mage, mais s’il était un mage, pourquoi n’avait-il pas perçu ma présence ?

— Tu as toujours un chèque pour nous, Gregory. Ils arrivent sans toi à la banque. Nous acceptons ton argent en l’honneur de ta mère morte, et de ton père mort, qui était mon fils bien-aimé. Nous acceptons ton argent pour le bien qu’il procure à ceux que tes parents ont aimés autrefois. Retourne à ton Temple. Retourne à tes ordinateurs. Retourne à ton Église mondiale. Retourne chez toi, Gregory ! Prends ta femme par la main ; sa fille a été assassinée. Pleure avec Rachel Belkin. N’a-t-elle pas au moins droit à cela ?

Gregory fit un geste signifiant : les choses ne vont pas s’arranger. Puis il courba respectueusement la tête et dit :

— J’ai besoin de toi, rebbe.

C’était direct, et pourtant adroit.

Le vieil homme leva les mains et haussa les épaules. Il remua légèrement et soupira. Une légère sudation apparut en haut de son front.

Derrière lui s’accumulaient des rayonnages de livres. La pièce semblait tapissée de livres. Les sièges étaient amples, le cadre dissimulé à l’intérieur du cuir, et tous étaient entourés de livres. Il y avait des rouleaux de parchemin et de cuir rangés dans des sacs.

Il est vrai qu’il est interdit de jeter les anciens manuscrits de la Torah ou de les brûler. Ils doivent être enterrés respectueusement ou conservés dans un endroit comme celui-là.

Dieu sait ce que cet homme avait conservé avec lui durant son périple à travers le monde ! Son anglais n’était pas pur et précis comme celui de Gregory, mais restait alourdi des accents d’autres langues. La Pologne. Je voyais la Pologne et la neige.

Gregory glissa sa main gauche dans sa poche, où était rangé le chèque qu’il souhaitait offrir. Je l’entendis crisser sous ses doigts. Il était plié à côté du pistolet.

Le vieil homme demeurait silencieux.

— Rebbe, reprit Gregory. Quand j’étais enfant, je t’ai entendu raconter une histoire. Je ne l’ai entendue qu’une seule fois, mais je m’en souviens. Je me souviens des paroles.

Le vieil homme ne répondit rien. Les plis de sa peau luisaient à la lumière et lorsqu’il haussa ses sourcils blancs les rides de son front se haussèrent également.

— Rebbe, insista Gregory. Tu as parlé un jour à ma tante d’une légende, d’un secret… d’un trésor de famille. Je suis venu pour t’interroger à ce propos.

Le vieil homme était surpris. Non. Ce n’était pas cela. Il s’étonnait seulement que les paroles de son jeune interlocuteur présentent quelque intérêt pour lui. Il répondit en yiddish, comme au début :

— Un trésor ? Ton frère et toi, vous étiez les trésors de votre mère et de votre père. Qu’est-ce qui peut bien t’amener à Brooklyn pour m’interroger sur des légendes de trésor ? Des trésors, tu en possèdes plus qu’un homme ne peut en rêver.

— Oui, rebbe, répondit patiemment Gregory.

— J’entends dire que ton Église baigne dans la richesse, que tes missions à l’étranger sont de luxueuses villégiatures pour les riches qui veulent s’y joindre et donner aux pauvres. J’entends dire que ta fortune personnelle dépasse grandement celle de ta femme, ou de sa fille. J’entends dire que nul ne peut concevoir l’exacte étendue de tes richesses ni de celles que tu contrôles.

— Oui, rebbe. Je suis aussi riche que tu peux l’imaginer, et je sais que tu ne souhaites pas l’imaginer, ni en profiter.

— Alors, viens-en au fait ! coupa le vieillard en yiddish. Tu me fais perdre mon temps. Tu gâches les précieux moments qui me restent, et que je préférerais consacrer à la charité. Que veux-tu ?

— Tu parlais d’un secret de famille. Rebbe parle-moi en anglais, s’il te plaît.

Le vieil homme ricana.

— Quelle langue parlais-je alors, quand tu étais enfant ? demanda-t-il en yiddish. Est-ce que je parlais yiddish, polonais, ou bien anglais ?

— Je ne m’en souviens plus. Mais je voudrais que tu parles anglais. Il ajouta très vite : Rebbe, je pleure Esther ! Ce n’était pas ma fortune qui lui avait acheté ces diamants. Ce n’est pas ma faute si elle les portait avec insouciance. Ce n’est pas ma faute si les voleurs l’ont surprise.

Des diamants ? Quel mensonge ! Esther n’en portait pas. Les Eval ne lui avaient rien pris. Mais Gregory était beau parleur. Il jouait bien son rôle. Son grand-père l’observait.

Le vieillard se recula comme si la force des mots l’avait poussé en arrière, ou contrarié. Il dévisageait le jeune homme.

— Tu te méprends, Gregory. Je ne parle pas de ta fortune ni de ce qu’elle portait au cou au moment de sa mort. Tu as tué ta fille, Esther. Tu l’as fait assassiner.

Silence.

Dans la pénombre, je vis mes mains bien visibles contre les livres ; je vis les minuscules replis de mes jointures, et là où un homme aurait eu un cœur, j’éprouvai une souffrance.

L’homme à la langue habile ne manifestait aucun signe de remords ni de honte. Une innocence infinie, ou une infinie malfaisance, l’emplissait et le tenait serein.

— Grand-père, c’est de la folie. Pourquoi aurais-je fait une chose pareille ? Je suis un homme de Dieu comme toi, grand-père !

— Tais-toi ! dit le rebbe.

Il leva la main.

— Jamais mes disciples n’auraient fait de mal à Esther, ils…

— Tais-toi ! répéta le rebbe. Vite, dis-moi ce que tu veux réellement.

Ébranlé et souriant avec embarras, Gregory hocha la tête. Il se concentrait pour parler. Ses lèvres tremblaient, mais je ne pense pas que le vieillard l’ait vu.

Gregory tenait toujours le chèque, l’offrande figée dans sa main gauche.

— C’est une chose que je me rappelle t’avoir entendu dire, reprit Gregory en anglais, d’une voix rapide et naturelle. J’étais dans la pièce, avec Nathan. Mais je ne pense pas qu’il ait entendu. Il était avec… quelqu’un d’autre. Je me rappelle seulement la présence de ma tante, la sœur de ma mère, Rivka, et celle de vieilles femmes. C’était ici, à Brooklyn, nous venions d’arriver. Je pourrais demander à Nathan…

— Laisse ton frère tranquille ! s’exclama le vieil homme. Il s’était exprimé en anglais d’une manière aussi naturelle qu’en yiddish. N’approche pas ton frère ! Laisse Nathan en paix ! Tu viens toi-même de dire qu’il n’avait rien entendu.

— Je savais que c’était ce que tu voudrais, rebbe je savais que tu ne voudrais pas me voir contaminer Nathan.

— Dépêche-toi.

— C’est pourquoi je veux que tu m’expliques l’histoire. À cette condition, je n’ennuierai pas mon frère bien-aimé. Ce jour-là, quand j’étais enfant, tu as parlé d’une chose secrète : le Serviteur des Ossements.

Je demeurai saisi, totalement pris au dépourvu. Le choc ne fit que renforcer ma forme. Je n’aurais pas été plus effaré s’il s’était retourné et m’avait vu. J’appelai des vêtements pour m’habiller comme lui, le zaddik. Aussitôt je me sentis vêtu de soie noire, chaude et bien ajustée ; l’air me parut tiède, tandis que la petite ampoule se balançait au bout de son cordon élimé.

Le rebbe contempla longuement l’ampoule, puis reporta son regard sur son petit-fils.

« Ah, reste calme, Azriel, m’ordonnai-je. Et écoute. Les réponses arrivent enfin. »

— Te souviens-tu ? insista Gregory. Un secret de famille ? Un trésor nommé Serviteur des Ossements ?

Le vieil homme se souvenait, mais il ne parla pas.

— Tu disais qu’un jour un homme l’avait apporté à ton père, à Prague. Cet homme était un musulman venu des montagnes. Tu disais qu’il avait offert ce trésor à ton père en paiement d’une dette.

Ah, ce zaddik possédait les ossements ! Mais il n’était pas le maître, et ne le serait jamais.

Il posa sur son petit-fils un regard dur et fermé.

— Tu parlais à Rivka, insista Gregory. Tu lui as répété les paroles du musulman. Tu disais que ton père n’aurait jamais dû accepter une chose pareille, mais qu’il avait été dérouté par les mots hébreux inscrits sur le coffret. Tu prétendais que c’était une abomination, et qu’il fallait le détruire.

Je souris. Éprouvais-je du soulagement ou de la colère ? Une abomination. Je suis une abomination. Et cette abomination peut vous détruire, toi et toute ta bibliothèque ; elle peut réduire en pièces cette maison jusqu’au toit ! Mais qui m’a appelé ?

Je me couvris la bouche de ma main, pour me retenir. En présence d’un zaddik, je ne pouvais pas me permettre le moindre son ou soupir. Je ne pouvais pas me permettre de pleurer.

Le zaddik gardait son calme, laissant le jeune homme se dévoiler.

— Rivka te demandait pourquoi tu ne le détruisais pas, poursuivit Gregory, lentement. Tu lui répondais que ce n’était pas facile à réaliser, que cette chose avait autant de valeur que les anciens manuscrits : on ne pouvait pas la détruire irrespectueusement. Tu parlais d’une chose écrite, d’un document. T’en souviens-tu, grand-père ? Ou bien l’ai-je rêvé ?

Le regard du vieil homme était glacial.

— Tu as entendu cela dans ton enfance ? marmonna-t-il. Pourquoi me le demandes-tu maintenant ?

Soudain, le rebbe leva le poing et l’abattit sur la table. Rien ne bougea, sauf la poussière.

Gregory ne cilla pas.

— Pourquoi viens-tu ici, le jour des funérailles de ta fille, pour m’interroger sur cette vieille histoire ? Cette histoire, ce secret, ce trésor, comme tu l’appelles, que tu as entendue quand tu étais mon éloi, mon élève préféré, ma fierté, mon espérance ! Pourquoi viens-tu me parler de cette chose !

Il tremblait.

Gregory calcula en silence, puis prit son élan.

— Rebbe, ce chèque pourra acheter beaucoup de choses.

— Réponds à ma question ! De l’argent, nous en avons. Nous sommes riches. Nous étions riches quand nous avons quitté la Pologne. Nous étions riches quand nous avons quitté Israël. Réponds à ma question. Pourquoi viens-tu maintenant me parler de cette chose ?

Je ne voyais aucune richesse dans cette pièce, mais je le croyais.

Je connaissais son espèce. Il ne vivait que pour étudier la Torah et respecter la Loi, pour prier et pour conseiller ceux qui venaient à lui chaque jour, parce qu’ils le croyaient capable de voir dans les âmes et d’accomplir des miracles, parce qu’ils voyaient en lui l’instrument de Dieu. La richesse n’apporterait aucun changement dans la vie d’un tel homme, si ce n’est qu’il pourrait choisir d’étudier nuit et jour à son gré.

Je sentais mon pouls, très fort. Je sentais l’air en moi. Ma force augmentait considérablement tandis que s’échangeaient ces propos. Les ossements devaient être là. Oui, il les avait, il m’avait appelé d’une manière ou d’une autre. Il avait posé ses mains sur eux, lu les paroles, ou prononcé l’incantation. Ce devait être ce vieillard… Mais comment cela avait-il pu s’accomplir, et pourquoi ne l’avais-je pas tout de suite détruit ?

De ma mémoire, telle une comète, surgit un visage que je connaissais et que j’aimais. Des centaines d’années se rejoignirent en un instant.

C’était le visage de Samuel. Samuel de Strasbourg. Le maître qui m’avait vendu pour sauver ses enfants, comme je m’étais peut-être vendu moi-même pour les enfants de Dieu. Dans ma mémoire, je vis le coffret.

Où était-il ?

Le souvenir était amer, fragmentaire ; je n’arrivais pas à le saisir. Des accusations m’en distrayaient, et aucun fragment du passé, même avec Samuel, ne pourrait être changé.

Je me trouvais dans cette pièce bien chauffée, à Brooklyn, avec un antre vieux savant entouré de livres poussiéreux, de sorts, de charmes, et d’incantations, et je le détestais. Je le méprisais. Toutefois, il était infiniment plus vertueux que ne l’avait été Samuel, surtout lorsque Samuel m’avait dit de disparaître en enfer.

Je haïssais ce rebbe presque autant que son petit-fils le haïssait.

Et le petit-fils ?

Que m’était-il, cet habile Gregory Belkin, avec son Église mondiale ? Mais s’il avait tué Esther…

Je me cramponnai, et laissai fondre en moi la colère et la souffrance ; je m’imposai de me contenter d’être en vie, et de me taire.

Ce jeune homme soigné comme un prince attendait avec la même patience que l’humeur du zaddik se calme.

— Pourquoi m’interroger maintenant ? répéta le vieillard.

Je songeai à la tendre jeune fille sur la civière, la tête renversée. Comme son murmure était doux et effrayé. Serviteur des Ossements.

Le vieillard perdit soudain le contrôle de sa colère. Il ne laissa pas à Gregory le temps de répondre. Il poursuivit ses questions pleines de rage.

— Qu’est-ce qui te prend, Gregory ? demanda-t-il en anglais. La voix était intime, comme s’il souhaitait vraiment savoir. Il se leva et se planta face à son petit-fils. Tu m’interroges. Eh bien, laisse-moi t’interroger à mon tour. Que cherches-tu donc, dans ce vaste monde ? Tu es riche au-delà de tout ce qu’on peut imaginer ; en comparaison nos richesses ne sont qu’une goutte d’eau dans la mer ; tu crées une Église pour duper des milliers de gens, tu fomentes des lois qui n’en sont pas ; tu vends des livres et des programmes de télévision qui n’ont aucun sens… Tu voudrais être Mahomet ou le Christ ! Et pour finir tu assassines ta fille ! Oui, tu l’as fait. Je le vois en toi. Je sais que tu l’as tuée. Tu as envoyé ces hommes. Son sang était sur les armes qui les ont tués. Eux aussi, tu les as tués ? À quoi rêves-tu, Gregory, pour nous causer tant de mal et de honte que le Messie ne saurait tarder davantage à venir ?

Je souris. C’était un beau discours. Ayant oublié Zurvan et quiconque avait eu autant de sagesse ou d’éloquence, je me rassérénai néanmoins à cette allocution, et à la conviction qui l’animait. J’aimais ce vieillard un peu plus.

Gregory adopta une attitude de tristesse, mais garda le silence. Que le vieil homme donne donc libre cours à sa colère…

— Tu crois que je ne le sais pas, que c’est toi qui l’as tuée ? insista le rebbe. Il s’affaissa sur son siège, épuisé par la fureur. Je te connais comme personne, depuis le jour de ta naissance. Nathan, ton jumeau, ne te connaît pas. Il prie pour toi, Gregory !

— Mais toi, grand-père, tu ne le fais pas ? Tu as déjà dit tes prières pour moi, n’est-ce pas ?

— Oui, j’ai dit kaddish lorsque tu as quitté cette maison. Et si je recevais un signe du Ciel, je mettrais fin à ta vie, à ton Temple de l’Esprit, à tes mensonges et à tes manigances de mes propres mains, m’entends-tu ?

Le ferais-tu, maintenant ?

— C’est facile à dire, grand-père, riposta Gregory, imperturbable. Chacun peut agir lorsqu’il reçoit un signe du Ciel ! J’enseigne à mes disciples l’amour, dans un monde où il n’y a aucun signe du Ciel !

— Tu n’enseignes à tes disciples qu’à te verser de l’argent et à vendre tes livres. Si lu élèves encore la voix contre moi, tu quitteras cette maison sans tes réponses. Ton frère ne sait rien de ce que tu évoques – cet ancien souvenir d’enfance. Il n’était pas là. Mon souvenir est très clair. Il ne reste aujourd’hui plus une seule personne vivante qui sache.

Gregory leva la main. Paix, indulgence.

J’étais fasciné et tourmenté. J’attendais le mot suivant.

— Grand-père, dis-moi seulement ce que cela signifie, « Serviteur des Ossements ». Suis-je une telle ordure que tu te sentes profané d’avoir à me répondre ?

Le vieillard tremblait. Ses épaules se voûtèrent sous son manteau noir sans col. À la lumière, ses jointures paraissaient à vif. La lumière éclaboussait sa barbe blanche, sa moustache et ses paupières translucides tandis qu’il hochait la tête, se balançant d’avant en arrière comme pour prier.

— Grand-père, mon unique enfant est morte, et je viens à toi avec une simple question. Pourquoi aurais-je tué ma fille ? Tu sais toi-même qu’il n’existe aucune raison devant Dieu pour que j’aie fait du mal à Esther. Que puis-je te donner, pour que tu répondes à ma question ? Te rappelles-tu cette histoire, cette chose, ce Serviteur des Ossements ? Cela n’avait-il pas un nom – Azriel ?

Le vieillard était abasourdi.

Moi aussi.

— Jamais je n’ai prononcé ce nom, dit le vieil homme.

— En effet, reconnut Gregory. Mais quelqu’un d’autre l’a fait.

— Qui t’en a parlé ? Qui a pu faire une chose pareille ?

Gregory était embarrassé.

Je m’appuyais de tout mon poids contre les rayonnages, et je regardais, les doigts cramponnés aux reliures de cuir distendues qui s’émiettaient. Ne les abîme pas. Pas les livres.

Le vieil homme paraissait dur et dédaigneux.

— Quelqu’un t’a parlé de cette légende ? demanda-t-il. Quelqu’un t’a raconté une histoire de magie et de pouvoir ? Était-ce un musulman ? Un chrétien ? Un Juif ? Était-ce un de tes adeptes, fanatique du New Âge et nourri de ton charabia sur la kabbale ?

Gregory secoua la tête.

— Tu te trompes, grand-père. Il y a deux jours, quelqu’un d’autre a prononcé ces paroles devant des témoins : « Azriel, Serviteur des Ossements » !

Je redoutais de deviner.

— Qui était-ce ? demanda le vieillard.

— C’était elle, rebbe. Esther. Elle l’a dit en mourant. L’ambulancier l’a entendue à l’instant de sa mort. Elle a dit : Serviteur des Ossements. Et le nom : Azriel. Elle l’a répété à voix haute : deux hommes l’ont entendue. Ils me l’ont répété.

Je souris. Il y avait là davantage de mystère que je ne l’avais imaginé.

Je les observais intensément. J’avais le visage en sueur, et je savais que je tremblais autant que le vieillard, comme si mon corps avait été réel.

Le vieil homme s’enfonça dans son fauteuil. Il ne voulait pas le croire. Sa colère s’évanouit. Il scruta le visage du jeune homme.

La voix de Gregory s’éleva à nouveau, empreinte d’une tendresse habile et délibérée.

— Qui est-ce, rebbe ? Qui est ce Serviteur des Ossements dont parlait Esther ? Dont tu parlais, quand j’étais enfant et que je jouais par terre, à tes pieds ? Esther a prononcé ce nom, Azriel. Est-ce le nom du Serviteur des Ossements ?

Mon pouls battait si fort que je l’entendais de mes propres oreilles. Je sentais les doigts de ma main gauche appuyer légèrement sur les livres. Je sentais l’étagère contre ma poitrine. Je sentais le sol en ciment sous mes chaussures, et je n’osais pas détourner d’eux mon regard.

Mon dieu, me disais-je, fais que le vieil homme lui révèle tout, pour que je sache enfin, mon dieu, si tu es encore là, fais-lui dire qui est le Serviteur des Ossements !

Le vieillard était trop stupéfait pour répondre.

— Les policiers détiennent ces renseignements, reprit Gregory. Ils les gardent jalousement. Ils croient qu’elle parlait de son assassin.

Je faillis crier pour démentir.

Le vieil homme grommela, et ses yeux se mouillèrent.

— Rebbe, tu ne comprends pas ? Ils veulent trouver qui l’a tuée – pas ces misérables armés de pics à glace qui lui ont volé son collier, mais ceux qui les ont envoyés, et qui connaissaient la valeur des bijoux.

Encore le collier. Je n’avais vu aucun collier et n’en voyais aucun dans ma mémoire. Elle n’avait pas eu de collier autour du cou. Ils ne lui avaient rien pris. Que signifiait cette diversion ?

Si seulement j’avais mieux connu ces hommes ! Mais je n’aurais pas su dire à coup sûr quand Gregory mentait.

Sa voix se fit plus basse, plus froide, moins conciliante. Il redressa les épaules.

— Maintenant, laisse-moi parler clairement, rebbe. À ta demande, j’ai toujours gardé notre secret, le mien – que le fondateur du Temple de l’Esprit était le petit-fils du rebbe de cette Congrégation hassidique ! Sa voix s’enfla comme s’il ne pouvait plus la maîtriser. Par égard pour toi, j’ai gardé ce secret ! Par égard pour Nathan ! Par égard pour la Congrégation, et pour ceux qui aimaient mon père et ma mère et se souvenaient d’eux. J’ai garde ce secret pour toi et pour eux !

Il se tut, laissant planer ce ton accusateur tandis que le vieil homme attendait, trop avisé pour briser le silence.

— Parce que tu m’as supplié, j’ai gardé le secret. Parce que mon frère m’a supplié, et que je l’aime. Et à ma façon, rebbe, je t’aime aussi. J’ai gardé le secret pour t’épargner la disgrâce, pour que les caméras ne viennent pas cogner à tes fenêtres, que les reporters ne viennent pas encombrer le seuil de ta maison pour te demander. Comment se peut-il que de votre Torah, de votre Talmud et de votre kabbale soit issu Gregory Belkin, le Messie du Temple de l’Esprit, dont la voix se fait entendre de Lima jusqu’à la Nouvelle-Ecosse, d’Édimbourg jusqu’au Zaïre ? Comment se fait-il que tous vos rites, vos prières, votre bizarre accoutrement noir, vos chapeaux noirs, vos danses insensées, vos courbettes et vos vociférations aient projeté dans le monde ce Gregory Belkin si célèbre et si vénéré, avec son Temple de l’Esprit ? Par égard pour toi, je me suis tu.

Silence. Le vieillard se taisait, hautain, et le cœur sans pardon.

J’étais plus désemparé que jamais. Rien chez ces hommes ne m’inspirait de haine ni d’amour, rien ne m’inspirait, sinon les yeux et la voix de la jeune fille morte, dans mon souvenir.

L’homme plus jeune continua.

— Une seule fois, de ta vie entière, tu es venu me trouver de ton propre gré. Tu as franchi le grand pont qui sépare mon univers du tien, comme tu dis. Tu es venu jusqu’à mes bureaux pour me supplier de ne pas dévoiler mes origines ! De garder le secret, quel que soit le nombre de journalistes qui m’interrogeraient et qui fouineraient partout.

Le vieil homme ne répondit rien.

— Cela m’aurait aidé, rebbe, de le proclamer à la face du monde. Comment cela ne m’aurait-il pas aidé, de dire que j’étais issu de racines aussi fortes et aussi religieuses ! Mais bien longtemps avant que tu ne m’exprimes cette requête, j’avais enterré mon passé avec toi. Je l’avais couvert de mensonges et d’inventions pour te protéger ! Pour l’éviter la disgrâce. À toi et à mon Nathan bien-aimé, pour qui je prie chaque soir. Je l’ai fait et je continue à le faire… pour toi.

Il s’interrompit, comme sous le coup d’une colère trop forte. J’étais fasciné, par eux et par cette histoire.

— Dieu m’est témoin, rebbe, reprit Gregory. J’ose parler de Lui dans mon temple comme tu le fais dans ta yeshiva. Elle a prononcé ces paroles en mourant ! Et tu sais bien que ce n’est pas un de tes saints, vêtus de noir qui battent des mains et qui chantent pour shabbat, qui a tué Esther ! Ce n’est pas mon frère aux yeux de biche qui a tué Esther. Ce n’est pas un hassid qui a tué Esther. Quand les nazis ont abattu ma mère et mon père, pas un seul d’entre eux n’a levé la main pour arrêter le bras ou le pistolet, n’est-ce pas ?

Perplexe et déchiré, le vieil homme fit un signe d’assentiment, comme s’ils s’étaient tous deux avancés bien au-delà de leur haine mutuelle.

Le sortilège de Babylone
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